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Terres
incandescentes
Invitation
à l’écoute d’une terre vivante, vibrante, une terre à la fois hospitalière et
rude, peuplée d’un monde en pleine naissance, c’est ce que nous proposent les
peintures récentes de Bernard Jannemin. De ces terres rouges incandescentes
s’érigent des corps, bien incarnés, bien enracinés et pourtant tendus vers le
ciel pour s’ouvrir sur une dimension aérienne tels des arbres agrippés à la
terre et au cosmos.
Ces
représentations concrètes propres aux réalités abstraites de l’artiste prennent
leur identité dans le mouvement provoqué par des corps amples et l’expression
de leur masque. On entrevoit dans ses tableaux, une mise en scène, une mise en
espace propre à la dramaturgie. Il campe le décor d’un monde rugueux,
tranchant, où les êtres se cherchent, s’interrogent sur leur rôle. Des drapés
pour accentuer le mouvement, et des masques pour la magie des rites sacrés qui
empruntent les chemins de l’état primitif, tribal de ce qu’est l’être en
réalité.
Ces
masques expressifs semblent porter un regard sur qui les observe. Pourtant ils
portent essentiellement leurs yeux et leurs émotions, c’est-à-dire celles de
l’artiste, sur un monde profondément perturbé dans ses valeurs. A notre époque,
où les croyances et les idéaux spirituels sont mis à mal, il est bon de se
laisser convier à la méditation, à l’écoute du monde, de celui que nous portons
en chacun de nous.
Bernard
Jannemin l’explore dans les matières, les transparences, les opacités des
pigments : terres de sienne brûlées, ocres, rouges oxydes, révélant plus
de clarté, de luminosité, et si quelquefois apparaissent d’imperceptibles
dorures, ce ne sont que des traces d’un monde dérisoire assujetti aux richesses
matérielles.
Il
colle, ponce, gratte le bois, la toile, le sable, le papier, les tissus aux
trames rudes ou au contraire fines, et ce sont ces reliefs qui appellent la
forme ; les personnages épousent les reliefs, s’harmonisent, se fondent
avec l’environnement créé. De ces matières apparaît une créature nouvelle, une
inconnue, mais sa présence rassure, elle nous prouve que nous ne sommes
peut-être pas si éloigné des représentations du peintre.
L’empreinte
prend également un rôle important, primordial dans la composition, celui du
souvenir, de la mémoire. La terre porte toujours des traces de quelque chose
qui s’est passé, comme des signes, écriture incertaine laissant un message à
destination des êtres à venir qui les unit fondamentalement dans l’espace
temps. Bernard Jannemin les inscrit sur des supports très divers : des
toiles flottantes sans châssis, des format tout en longueur ou au contraire
tout en largeur, qui donnent à la peinture un prolongement, une extension
au-delà du cadre sans embarras de règles.
Une
autre période s’amorce donc chez Bernard Jannemin. Jusque là on était habitué à
voir une peinture à la fois plus éthérée et plus minérale, inspirée des ciels,
mer et rivages rocheux de la Bretagne où il vit et travail depuis plus de vingt
ans. Les masques, thème récurrent chez lui, avaient déjà une forte présence,
mais là, dans ses derniers travaux ce thème charnière s’épanouit pleinement au
milieu des terres rouges, brûlées, théâtralisées ; on pressent des
préoccupations écologiques et profondément humaines.
Dimitri Muller, 2002
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